CHAPITRE 21

Le visage décharné de Hocking avait pris la couleur d’une tomate mûre. Il avait l’air au bord de l’explosion. Mais quand il se mit à parler, sa voix était glacée : « Vous l’avez laissé filer ! Imbéciles ! Incapables ! Vous l’avez laissé échapper. Ortu sera mis au courant, vous pouvez en être sûrs ! Et j’espère qu’il vous traitera comme vous le méritez. Je n’essaierai pas de l’arrêter, cette fois !

— Je vous en prie, supplia Tickler, le visage déformé par la peur et l’angoisse. Ce n’est pas notre faute. Ce pilote russe, Kalnikov… il était dans le coup.

— Comment pouvait-il l’être ? À moins d’une imprudence de votre part. Vous avez permis à Reston de les prévenir.

— C’était impossible. Je vous le jure ! Je vous en prie, croyez-moi !

— Vous avez tout gâché. Reston sera maintenant d’autant plus difficile à attraper qu’il sait que nous sommes après lui. Nous ne pourrons pas le prendre par la force, cela au moins est certain. » Hocking fit pivoter son siège pour se détourner de ses acolytes en déroute. Il parut se détendre un peu tandis qu’il évaluait la situation. Quand il se remit à parler, il était de nouveau lui-même. « Non, nous devons trouver quelque chose de plus subtil. Le mieux serait qu’il se rende de son plein gré. Oui, il faut qu’il vienne à nous volontairement : de cette façon ce sera plus facile de le manipuler, et il sera plus réceptif au stimulus. »

Tickler entrevit une lueur d’espoir dans le changement de comportement de Hocking.

« Cette fille… nous pourrions la saisir.

— Mais, la suivrait-il ?

— Jusqu’au bout du monde, dit Tickler.

— Il est amoureux », ajouta Millen.

Les yeux de Hocking s’allumèrent. Une sorte de sourire vint étirer ses lèvres minces. « Il y a peut-être quelque chose dans ce que vous dites, dit-il d’un ton plus léger. Peut-être est-ce là l’occasion que nous recherchions. »

Puis il lança : « D’accord. Mais cela ne sera pas facile. Nous ne connaissons même pas leur destination, alors il va falloir improviser. Voilà ce que nous allons faire…»

La discussion qui suivit fut brève. À la fin, Tickler et Millen se précipitèrent vers la porte, dans leur hâte de mettre à exécution les nouvelles consignes qu’ils venaient de recevoir, trop heureux d’avoir momentanément sauvé leur peau.

Dès qu’ils eurent disparu, Hocking se rendit à la console du terminal de ComCen de l’autre côté de la pièce. Il entra un code et attendit. Quelques secondes plus tard, une voix dit : « Ici Wermeyer.

— Le coup de force a commencé. Vous allez mettre en opération la Phase Un immédiatement.

— Déjà ? Mais…» La voix s’était réduite à un murmure.

« Immédiatement ! Nous avons enfin l’occasion que nous attendions. »

 

« Il faut les arrêter à l’atterrissage. Ils ont volé un vaisseau spatial. Ce sont des fugitifs. Vous êtes le directeur de cette station, vous pouvez ordonner leur arrestation. Et vous allez le faire. »

Zanderson, le visage pâle et marqué par l’inquiétude avait peine à trouver ses mots. « Je… Je ne sais pas si c’est possible.

— Oh ! oui, c’est possible ! Et c’est même ce qui va se passer.

— Je ne veux pas qu’Ari soit impliquée dans cette affaire. Elle n’a rien à y faire. Elle ne sait rien. Laissez-la en dehors de tout cela.

— Ari ne nous intéresse pas. Elle sera aussitôt relâchée. » Hocking voyait qu’il avait touché la corde sensible chez cet homme en proie à la peur, et il adoucit sa voix pour ajouter : « Bien sûr, nous lui épargnerons tout désagrément.

— Et en ce qui concerne les deux autres, Reston et Rajwandhi ? Qu’est-ce qu’ils vous ont fait ?

— Ils ont volé des secrets précieux – de la piraterie technologique, si vous préférez. Nous voulons les rattraper avant qu’ils revendent ce qu’ils savent.

— Je ne peux pas croire cela de leur part. Êtes-vous sûr ?

— Affirmatif. Sinon pourquoi tenteraient-ils de s’enfuir de cette façon ? Je n’avais pas voulu vous en parler avant parce que je ne voulais pas vous inquiéter. Mais il est possible qu’ils aient l’intention d’utiliser Ari comme otage si les choses tournent mal. »

À cette dernière remarque, le regard du directeur s’assombrit. « Ils n’oseraient pas.

— Ce sont des hommes prêts à tout.

— Quand je pense que j’ai fait confiance à Reston. Sa disparition m’a affecté. Et dire qu’il était bien vivant pendant ce temps-là, caché ici !

— Oui, dit Hocking. Et maintenant, envoyez cet ordre. »

Zanderson pressa un bouton, se pencha sur son bureau et parla dans le micro. « M. Wermeyer, demandez à ComCen de me libérer un canal pour une communication avec la base terrestre. »

Quelques secondes plus tard la voix de son assistant répondit. « Le canal est libre. Canal 2. »

Le directeur pressa un autre bouton et le haut-parleur de l’appareil émit une tonalité codée. Puis il entendit une voix féminine. « Base terrestre du ComCen de GM, j’écoute ?

— Ici Zanderson, directeur de la base, passez-moi le chef de la Sécurité. C’est urgent.

— Merci », répondit la voix avec insouciance. Il aurait aussi bien pu être en train de commander des fleurs.

Une seconde plus tard, il avait en ligne le chef de la Sécurité de la base terrestre de GM. En termes diplomatiques, il tenta de décrire la situation et donna l’ordre d’appréhender les deux suspects et de les détenir. Sa fille, dit-il ne devait pas être inquiétée. Il voulait être prévenu dès qu’ils seraient arrêtés. Le chef de la Sécurité l’assura que la capture serait faite dans les règles et sans bavure et promit son entière coopération et celle de ses hommes. Il demanda quelques détails sur la nature du vaisseau et l’estimation de son heure d’atterrissage.

« Il devrait arriver vers cinq heures de l’après-midi pour vous, c’est-à-dire quatorze heures GMT.

— Je vous préviendrai personnellement dès qu’ils seront entre nos mains, monsieur le Directeur. Ne vous en faites pas.

— Je vous remercie, commandant Tatum. J’attendrai votre appel. »

Les acolytes de Hocking l’attendaient au retour de sa visite à Zanderson.

« Je suis un vrai génie, claironnait Hocking. Ce fut superbe.

— Il a tout avalé ? demanda Tickler nerveux.

— Il a mordu à l’appât comme le gros poisson qu’il est, ironisa Hocking. Ha ! Ha ! » Il se mit soudain à rire. « Vous auriez dû être là. Cela n’avait pas de prix. Je l’ai persuadé que sa charmante fille avait été kidnappée et ce n’est plus qu’une pâte molle. Nous en ferons ce que nous voulons. Le moment venu, il nous suivra comme un petit chien. »

Tickler ne put réprimer un sourire de satisfaction devant cette bonne fortune. Il se tourna vers Millen qui lui rendit son sourire.

Hocking poursuivit. « Bien entendu, je n’oublie pas votre échec complet dans cette affaire. Mais je suis prêt à le pardonner pour cette fois-ci. Il semble qu’il ait été à l’origine d’une situation plus favorable qu’on ne pouvait l’espérer. Maintenant ce sont eux qui ont les forces de la base terrestre sur le dos et pas nous. Et tout est si confus dans l’esprit de Zanderson qu’il ne sait plus que croire. Le vol de la capsule d’atterrissage a fait le reste.

— Et après ? demanda Tickler gagné par la bonne humeur contagieuse de son patron.

— Il faut être prêts à agir. Il n’y aura pas beaucoup de temps : il va falloir frapper et frapper vite. La Sécurité sur la base terrestre est prévenue, mais si nous arrivions à savoir où ils ont l’intention d’atterrir, cela pourrait nous simplifier le travail. Je vais retourner au bureau de Zanderson et j’attendrai là-bas. Je ne veux pas le perdre de vue un instant. Je serai chez lui s’il y a des appels.

— Et Kalnikov ? demanda Kurt. Ne risque-t-il pas de parler ?

— Il peut toujours raconter ce qu’il veut. Cela n’a aucune importance. Je suis arrivé à convaincre Zanderson que le taser appartenait à Reston et que Kalnikov était leur complice. Il aurait été atteint accidentellement par son propre camp et abandonné sur place. Tout ce qu’il pourra dire sera considéré comme mensonge. De plus, Williams veille sur lui dans une des salles de son infirmerie. On ne le reverra pas de si tôt.

— Alors cela y est ! Le coup de force a commencé.

— C’est ce que je suis en train de vous dire, messieurs. Bientôt, la station sera à nous. »

 

Adjani guidait soigneusement la capsule suivant une trajectoire précise qui ne laissait aucune marge d’erreur. Les réservoirs de carburant du petit vaisseau spatial n’avaient pas été prévus pour des vols de longue distance, mais comme ils n’avaient pas l’intention de retourner à la station, Adjani avait calculé, avec l’aide de l’ordinateur de bord qui contrôlait la navigation, qu’ils avaient assez pour effectuer la descente en sécurité et en maintenant une certaine vitesse. Spence et Ari lui faisaient confiance dans ce domaine.

« Ils seront certainement là pour nous cueillir, dit Spence. Qui peut savoir ce que prépare Hocking ? Nous sommes partis depuis quatre heures. Ils ont eu le temps de faire tout ce qu’ils voulaient.

— Je pense que nous devrions appeler mon père, dit Ari. Nous pourrions lui dire que tout va bien pour nous et le prévenir en ce qui concerne Hocking et les autres. Il pourrait aussi nous obtenir l’autorisation d’atterrir à la base.

— Je ne pense pas qu’il soit prudent d’atterrir à la base. Il va falloir prévoir un autre endroit. » Adjani se pencha sur l’ordinateur et entra rapidement des données au clavier. « Pour un maximum de sécurité, nous pouvons atterrir n’importe où dans un rayon de vingt-cinq kilomètres autour de la base. Autre solution : vous choisissez un endroit et je ferai de mon mieux pour nous y poser, où que ce soit.

— En d’autres termes, tu ne sais pas nous allons atterrir, c’est cela ? C’est à l’aveuglette.

— Je ne dirais pas cela. Nous sommes plus en sécurité ici que dans le vaisseau. C’est seulement que la mémoire de l’ordinateur ne renferme pas les données qui nous permettraient de nous poser sur le continent américain.

— Ah ! dit Spence. Alors que faisons-nous !

— Je pourrais nous mettre sur orbite : au cours des deux premières rotations, nous aurions le temps de choisir un terrain d’atterrissage avant que notre orbite se dérègle.

— Si je comprends bien, les grandes villes sont hors de question.

— Pas du tout. Cet engin a été conçu pour se poser n’importe où. Mais les réserves de carburant ne nous laissent pas tellement le choix. Et quoi qu’il arrive, on n’aurait pas envie de tomber sur Pittsburgh à l’heure de sortie des bureaux. Pourquoi ? À quoi penses-tu ?

— Eh bien, puisque nous voulions aller à Boston de toute façon, pourquoi ne pas viser l’ancien aéroport, Boston Métro ? Atterrir sur une des pistes désaffectées. Ils ne les utilisent plus maintenant que pour le lancement de rocketjets.

— Papa pourrait nous obtenir l’autorisation, j’en suis sûre, intervint Ari. Il pourrait aussi nous fournir toutes les coordonnées, pendant qu’il y est.

— Pourquoi n’ai-je pas pensé à cela plus tôt ? plaisanta Adjani.

— Vous deux, vous n’êtes pas les seuls à posséder un cerveau, vous savez, dit Ari.

— Très juste. »

Adjani manipula le module de communication avec le ComCen et quelques minutes plus tard trouva le canal de liaison avec la station. Il régla la fréquence du signal de la capsule et entra un code d’identification. Une seconde plus tard, ils entendirent la voix claire et posée d’un opérateur de ComCen.

« C’est toi, papa ? dit Ari dès que l’appel fut transmis au bureau du directeur.

— Ari, ma chérie ! Tu vas bien ? » La voix de Zanderson trahissait l’émotion d’un père fou d’inquiétude.

« Je vais bien, papa. C’est vrai. Tu connais sûrement tous les détails, à l’heure qu’il est…

— Je sais ce qui s’est passé et, crois-moi, j’ai pris toutes les dispositions pour résoudre la situation. »

Spence et Adjani échangèrent des regards interrogatifs. Peut-être que Tickler et Millen avaient été arrêtés.

Le directeur poursuivit. « Cela a dû être horrible pour toi, ma chérie.

— Tout va bien. Ne t’en fais pas pour moi.

— Où t’emmènent-ils ? Le sais-tu ?

— Nous allons essayer de nous poser à Boston Métro. Est-ce que tu pourrais nous avoir une autorisation ? Il nous faut aussi les coordonnées, papa. Je suis sûre que tu peux faire ces deux choses pour nous et tout ira bien.

— Je ferai tout ce que tu veux ma chérie, tout. » Il y eut un long silence. « Est-ce que tu es bien traitée ?

— Bien sûr. Quelle question ! Nous allons voir maman. Papa ? Tu es toujours là ? »

Il y eut de nouveau un long silence et le directeur dit d’une voix troublée, surprise peut-être : « Je suis là. Pourquoi, Ari ?

— C’est trop compliqué à expliquer maintenant. Mais je t’appellerai quand nous en aurons terminé. Ne t’en fais pas. Tout ira bien. Promets-moi seulement que cela ne fera pas monter ta tension.

— Je te le promets. Et je ferai parvenir l’autorisation et les coordonnées aussi vite que possible.

— Merci. » Elle consulta du regard Spence et Adjani. « Je crois que c’est tout pour le moment. J’appellerai dès que nous aurons vu maman et je te raconterai tout.

— J’attendrai ton appel, ma chérie. »

Ari prit congé de son père et se tourna vers les autres. « Sa voix n’était pas bonne. Il est très inquiet, je le sens. Il ne m’a même pas posé de question sur vous.

— Je suppose que moi aussi je serais inquiet si ma fille était partie se promener dans toute la galaxie en compagnie de deux malfrats. Bien sûr qu’il s’en fait.

— Vous savez, dit Adjani lentement, j’ai l’impression qu’il croit que nous vous avons kidnappée.

— Qu’est-ce qui vous fait dire cela ? » Ari se mit à rire. « Il ne croirait jamais une chose pareille. Comment le pourrait-il ? »

 

« Est-ce que cela allait ? demanda Zanderson.

— Parfait, répondit Hocking. Vous avez été parfait. Très convaincant.

— Je pense que je vais appeler la Sécurité de la base terrestre pour les faire cueillir à Boston Métro.

— Pas si vite ! J’ai un meilleur plan, monsieur le Directeur. Je crois que je vais redescendre et aller les accueillir moi-même.

— Vous ? Mais pourquoi ne pas…

— Chut ! monsieur le Directeur. J’imagine que vous préféreriez traiter cette affaire avec un maximum de discrétion. Votre fille étant impliquée, vous mesurez bien les conséquences d’une telle publicité.

— Je n’ai pas confiance en vous, Hocking.

— Alors venez avec moi, monsieur le Directeur. Oui, c’est formidable. Nous allons y aller ensemble. »

Le voleur de rêves
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